l'horloge de la gare de Chartres

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dimanche 22 avril 2018

Semaine #16 écoutes, chute, strates de temps














(Paris, parc des Buttes Chaumont)

Lundi mardi Reprendre en douceur, tiens donc, après une semaine chargée où il a fallu s'exposer, parler en public. Cette semaine, non. J'irai à Chartres vendredi collecter du son, me balader et écouter Krzysztof Styczynski, poète et éditeur qui travaille régulièrement avec Serge Teyssot-Gay, dormir à l'hôtel avant de rentrer à Paris, et c'est tout. J'ai envie de prendre un peu le temps, d'arrêter de courir. 
Le mardi, il fait beau, Bruits redémarre, à la fois vite et lentement. Les possibilités qu'il offre m'excitent et me font peur, presque. Tout s'ouvre sans arrêt. Peur ? Je coupe le rythme, vais nager. J'écoute les cris d'encouragement des jeunes nageurs qui passent une épreuve de sauvetage, font une course. La rumeur est rapidement trop forte, les voix s'étendent à l'ensemble du bassin. Sensation que nous nous cognons, à eux, à nous-mêmes.
(deux jours plus tard, le matin, tout le contraire : un maître-nageur passe du jazz tandis que le soleil illumine les lignes d'eau)

J'écoute aussi cette étonnante petite fille qui parle avec son père, raconte le dentiste et quelques horreurs sur Arte Radio. Aujourd'hui, ce doit être une jeune femme.

Plus tard, je reprends Puissance de la douceur d'Anne Dufourmantelle. Elle écrit ceci :
La douceur est un rapport émerveillé à la pensée.
Une sensation d'apesanteur que partagent avec elle les cosmonautes, les comètes. La douceur allège la peau d'être peau, elle ne résonne pas, elle se fond, s'enroule autour des lignes du paysage, ne mouille rien, donne de l'espace aux choses, enlève leur poids aux ombres.
Lessive étendue sur le balcon, jambes nues, manches courtes : toutes les premières fois de l'année se déploient.

Mercredi La douceur, en ce qu'elle peut apporter à mon livre, commence à m'apparaître, toujours grâce au livre d'Anne Dufourmantelle. Je me souviens soudain que Dita Kepler s'en est approchée, que la question est là depuis longtemps, n'a rien à voir avec ce que le commerce en propose.
Je mets par ailleurs une nouvelle minute à Chartres en ligne, que voici :



Jeudi Bruits a exactement quinze ans. Je veux dire par là que j'ai commencé à l'écrire il y a quinze ans. Où est passé le manuscrit ? Je fouille dans mes tiroirs, sur mes étagères. Je retrouve tout, sauf lui : un petit texte écrit le jour de mes 25 ans, des poèmes, un nombre incalculable de versions manuscrites, tapées à la machine (!), imprimées de fictions jamais terminées, jamais montrées à personne, encore moins publiées... Incroyable comme j'ai pu bosser comme ça, pour moi, dans le vide, c'est vertigineux.
Je suis faite de ces strates. Mon écriture vient d'elles. Brusquement, je mesure le travail et l'écart avec d'autres vies (professionnelles, j'entends). Il a fallu tout ce temps, ce silence, ces années pour pouvoir aujourd'hui écrire sur ce blog ceci : je suis en résidence pour un roman, Bruits. Mon livre précédent, Volte-face, est en lecture. Mon livre d'avant, A même la peau, est le fruit d'un travail avec une compagnie de danse. Celui d'avant encore, Décor Daguerre, m'a valu un coup de téléphone d'Agnès Varda l'été dernier. Etc. Et tout cela, je ne l'écris pas dans un nième carnet, une feuille volante que je retrouverai un jour mais ici, prêt à être lu, et sur le site de Ciclic, où des inconnus suivent le semainier. Difficile de mesurer exactement l'écart, mais il existe.

Une fois les carnets, les cahiers, les pochettes éparpillés partout, je découvre que la version d'il y a quinze ans est dans mon ordinateur (toujours sauvegardée, donc).
Elle contient 128 éléments datant de 2003 et 2004.
Il est fort possible que je ne m'en serve pas.

Les 36 secondes, elles, le vendredi, s'élèvent, grâce à Et si le temps n'existait pas ? de Carlo Rovelli (lire l'ouvrage d'un physicien sur le temps et l'espace me fait un bien fou) et Blaise Cendrars.













Vendredi Chartres par très beau temps pour aller faire du son, traverser le jardin de l'évêché, longer la rivière, rien de mieux. Je commence à trouver mes repères et ce sera tout à fait le cas à la fin de ma résidence, je le sais. Pour cette fois, je collecte, croise, hasard ou non, trois habitués des ateliers, me rends à la lecture, dors à cet hôtel des Poèmes que j'avais pris en photo en février dernier.













Est-ce du tourisme ? De l'écriture ? Autre chose ? Un privilège, cette balade le long de la rivière où travaillaient les tanneurs, les lavandières de la ville basse au Moyen Age, auxquels je pense tandis que des lycéens discutent, se balancent des vannes, que les canards sommeillent, que je rate mille photos à prendre du son ?

A l'hôtel, je suis ce qui se passe à Tolbiac, découvre ce que j'ai exactement envie de lire.

Le samedi matin, terrasses tranquilles, marché. Des Anglaises, des Allemands vont à la cathédrale. Un père explique à son fils la différence entre une bibliothèque et une librairie. Je bifurque, retourne à l'Esperluète quand je fatigue, reprends le train avec trois livres. Je sais que j'ai bien fait de rester dormir cette fois, de prendre un peu plus de temps que d'habitude, ne serait-ce parce que j'ai pu raconter mon histoire de "minute à" à qui voulait l'entendre (deux m'arrivent par mail dès le dimanche : merci !).

















 
Retour à Paris à midi. L'après-midi, je décide de passer voir l'exposition d'Agnès Varda à la galerie Galerie Nathalie Obadia, dans le Marais, sachant qu'elle y sera. Je ne pense pas lui parler longtemps, juste lui faire un petit signe.
Le petit signe, c'est plutôt à moi-même que je le fais : en pleine cogitation à propos de Bruits (même cause, même effet, j'étais déjà rentrée dans une rambarde en allant à la piscine l'autre jour), juste avant d'arriver, je m'étale de tout mon long en traversant la rue de la Verrerie. Talons, robe de printemps, sang, pharmacie, belle écorchure au genou : j'arrive à la galerie avec un pansement conséquent, au moment même où Jane B. va s'assoir aux côtés d'Agnès V et lui parle. Bien. Je fais un tour, me dis qu'en ce qui concerne la conversation, ce sera pour une autre fois !















(la même Jane à la Galerie de l'Instant, même quartier, quelques temps plus tôt, lors du vernissage de l'exposition Gainsbourg, salle pleine à craquer, oh, partir, revenir)

Ce n'est pas le lieu, ce n'est pas le moment : ce que disait ce signe. Ce que je retiens, et qui m'intéresse, c'est ce que j'entends Rosalie Varda expliquer de cette cabane constituée d'une seule pellicule de 1965 et des deux autres (cabane des Créatures, que j'avais déjà vue à la fondation Cartier, cabane de Sans toit ni loi, qui n'existe pour l'instant qu'à l'état de maquette) : l'espoir qu'elles voyagent, intéressent ; que cette exposition soit un début. 




















(la cabane est une serre, dont voici l'entrée)

Semaine instructive, donc, des livres conseillés aux manuscrits retrouvés, de cette chute qui m'indique à quel point je ne serai jamais mondaine, c'est ainsi, à ce que m'apprend le livre de Carlo Rovelli sur la gravité quantique, du soleil qui change la vision de la ville à l'écoute de Chartres (orgues, gravier, rivière,  ados, cloches...). 

*
La semaine prochaine, nouveau départ : mercredi, ce sera Belfort, deux jours d'immersion pour écrire avec les danseurs de Pièces détachées.

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